LE DROIT A RECONNAISSANCE ET A RÉPARATION
R. Pernod 19-03-04
LE DROIT À RECONNAISSANCE ET À RÉPARATION
Année centenaire de la mise en place du droit à reconnaissance et à réparation par
suite du vote de la loi du 31 mars 1919, communément appelée « La charte du Combattant »,
il apparaît opportun de faire le point de ces 100 ans d’existence. Il apparaît notamment
important d’examiner les évolutions possibles sans remettre en cause l’existence même de ce
droit qui consacre la reconnaissance de la Nation vis-à-vis de ses soldats qui combattent au
péril de leur vie pour que la France demeure libre, démocratique et prospère.
A- Etat des lieux
1918 : la signature de l’armistice a mis fin aux combats meurtriers de la 1ère guerre
mondiale et laissera exsangue notre pays.
Ainsi, au lendemain de cette guerre terrible, outre les destructions opérées sur notre
patrimoine économique, culturel, industriel et immobilier, dénombre-t-on plus de 3 millions de
morts, ennemis et amis, laissant autant d’orphelins et de veuves.
Mais sur les 7 millions de français partis au combat pour défendre le sol de France, soit plus
de 60% des hommes valides de notre pays, plus de la moitié de ces héroïques soldats en
revint meurtris dans leur chair (amputés, aveugles, traumatisés, …), sans travail et surtout
dans l’impossibilité de vivre décemment car ne pouvant plus subvenir à eux-mêmes, souvent
seuls et isolés.
A cette époque, pour l’Etat français, la reconnaissance pour services rendus à la Nation
jusqu‘au sacrifice ultime était très peu marquée, si ce n’est de manière parcellaire avec
notamment la création de l’Institution des Invalides créée par Louis XIV ou la Médaille de Saint
Hélène décernée par Napoléon III.
Mais le besoin de commémorer les sacrifices consentis par les acteurs de ces épopées, et de
les reconnaître publiquement, devenait de plus en plus pressant, au regard notamment des
« Morts pour la France » qui étaient de plus en plus nombreux. En parallèle, pour les pouvoirs
en place, se concilier leurs opposants ou tout simplement rassembler leurs partisans était une
nécessité impérieuse.
Après la guerre de 1870, une troisième raison apparut peu à peu : transmettre aux jeunes
générations, mais aussi à tous ceux qui restaient, l’exemple de ces hommes et femmes qui
avaient foi en leur pays et qui avaient combattu avec un don de soi authentique, allant jusqu’au
sacrifice suprême pour que la liberté et l’intégrité de notre pays soient maintenues coûte que
coûte. Les premières stèles ou plaques commémoratives apparurent alors localement, dans
les régions les plus touchées par les combats.
Mais ce sont bien les hécatombes humaines de la grande guerre qui vont faire prendre
conscience à l’Etat qu’il ne peut plus rester en dehors de ce besoin pressant de
reconnaissance de la population vis-à-vis de ces morts au combat et des mutilés qui, de
surcroît, ont besoin d’aide et d’assistance parfois quotidienne.
La violence de cette première guerre mondiale est ainsi à l’origine de la construction
d’un véritable système organisé autour de la « Dette » de la Nation, d’abord envers ceux qui
ont été atteints dans leur chair ou leur vie parce qu’ils portaient ses armes (militaires et
assimilés), mais également envers ses victimes civiles (de guerre et aujourd’hui du terrorisme),
sans oublier les familles des uns et des autres.
Le Président du Conseil, Georges Clémenceau, n’avait-il pas déclaré en novembre 1917 à la
tribune de la Chambre des Députés :
« Nous avons de grands soldats d’une grande histoire, sous des chefs trempés dans les
épreuves, animés aux suprêmes dévouements qui firent le beau renom de leur aînés…Ces
français que nous fûmes contraints de jeter dans la bataille, ils ont des droits sur nous.
Ils veulent qu’aucune de nos pensées ne se détourne d’eux, qu’aucun de nos actes ne leur
soit étranger. Nous leur devons tout sans aucune réserve. Tout pour la France saignante dans
sa gloire, tout pour l’apothéose du droit triomphant… ».
André Maginot, ministre des pensions, grand mutilé de guerre, travaillera d’arrache- pied pour
que cette loi, portée par Jules Lugol, député, et votée le 31 mars 1919, soit effective et que les
invalides, les orphelins et les veuves puissent être reconnus et surtout réparés.
Le droit à reconnaissance et à réparation est devenu la règle imprescriptible pour tous les
soldats meurtris dans leur chair au cours de leurs missions au service de la Nation. Il en est
de même pour les civils, victimes collatérales de la guerre ou du terrorisme, mais aussi pour
les familles, orphelins et veuves.
Depuis cette date, témoin « phare » de la reconnaissance de la Nation, le cours de
notre histoire contemporaine a pérennisé ce droit à reconnaissance et à réparation. Les
différents conflits, qui ont marqué le XXème siècle et marquent aujourd’hui le XXIème siècle
naissant, ont tous provoqué la mise en oeuvre de l’application de cette loi par le biais du Code
des Pensions Militaires d’Invalidité et Victimes de Guerre.
Ce code a été modifié à plusieurs reprises pour prendre en compte les évolutions sociétales,
techniques et médicales, mais il n’y a jamais eu de remise en cause le l’article 1er de la charte
du combattant qui stipule :
« La République reconnaissante envers ceux qui ont assuré le salut de la patrie,
proclame et détermine, conformément aux dispositions de la présente loi, le droit à
réparation due :
Aux militaires des armées de terre et de mer affectés d’infirmités résultant de la
guerre (*)
Aux veuves, aux orphelins et aux ascendants de ceux qui sont morts pour la
France. »
Une révision complète du CPMI-VG vient d’être effectuée en 2017, en concertation avec les
associations du monde combattant.
En revanche, le monde combattant doit se battre en permanence pour que ne soit pas réduite
cette réparation indispensable, notamment par rapport au coût de la vie. Aujourd’hui encore,
on constate un décalage de 4% de la valeur du point par rapport à la règle qui veut que le
point de pension soit aligné sur les rémunérations de la fonction publique. Il doit aussi le faire
pour le maintien de la ½ part fiscale supplémentaire à partir de 74 ans pour les combattants
titulaires de la Carte du combattant et l’extension à leurs conjoints.
(*) Rappel : l’armée de l’air n’existait pas en 1919. Elle était partie intégrante de l’armée de terre. Elle
deviendra autonome avec le vote de la loi du 2 juillet 1934 qui organisait l’Armée de l’Air française.
B- Que représente le Droit à Reconnaissance et à Réparation ?
La reconnaissance de la Nation envers les anciens combattants et les victimes de
guerre a été proclamée au lendemain de la Première guerre mondiale par la loi du 31 mars
1919 qui constitue une avancée considérable, par rapport à des textes législatifs parus entre
1793 et 1918 concernant les droits des militaires invalides. De cette loi est issu le CPMI –
VG. Ce code détermine le droit à réparation dont peuvent se prévaloir les combattants de
toutes les générations, leurs ayants-droits ainsi que les victimes civiles des conflits.
Il recouvre 3 notions :
La réparation des préjudices corporels
La réparation des préjudices matériels
Des droits annexes qui complètent les aides principales et facilitent la réinsertion des personnes
concernées .
Le droit à réparation concerne :
Les pensions d’invalidité
Les soins médicaux gratuits
L’appareillage
Les emplois réservés
Les droits annexes (affiliation à la sécurité sociale, abattements fiscaux, réductions sur les
transports
Les aides apportées aux orphelins et aux conjoints survivants
L’office national des anciens combattants et ses structures
L’institution nationale des Invalides
Afin de tenir compte de l’évolution de la société, des droits nouveaux ont été accordés aux
combattants des OPEX, aux conjoints qui leur survivent et à leurs descendants. On peut citer
l’accès à la fonction publique, la carte de circulation SNCF « à vie » pour les conjoints et jusqu’à
la majorité ou 26 ans pour les descendants directs selon les circonstances, l’assouplissement
des conditions d’attribution de la carte du combattant, etc.
C- Les Menaces sur le Droit à reconnaissance et à réparation
Si on entend bien la SEMARM, le droit à reconnaissance et à réparation ne serait pas
menacé, ce qui est en partie réel car on voit mal supprimer le parcours de soin et
d’accompagnement des blessés. Mais ce droit ne concerne pas que les combattants blessés,
il engerbe tous les combattants.
Or la tendance à vouloir réduire, voire entamer sérieusement le droit à reconnaissance et à
réparation se fait sentir aujourd’hui par le biais de la fiscalité. Le Président lui-même a annoncé
une grande réforme de la fiscalité en 2019.L’État n’ayant jamais vraiment réussi à faire baisser
la dépense publique qui pèse de plus en plus sur la dette française et sur l’avenir de notre
pays, il recherche partout des coupes à opérer pour limiter les dépenses, obérant au passage
la capacité de nos armées à remplir leurs missions de plus en plus nombreuses.
C’est pourquoi il est indispensable de nous préparer à répondre, mais surtout de proposer et
d’« éduquer » tous les institutionnels que nous rencontrons sur nos territoires, notamment les
élus qui font la loi et qui méconnaissent totalement les conditions d’emploi et de vie des soldats
de France. Le soldat n’est pas un salarié professionnel comme les autres.
S’agissant des Soldats professionnels
Une raison souvent invoquée est de dire qu’aujourd’hui, les militaires étant
professionnels, rien ne justifie plus ce droit à reconnaissance et à réparation, ce qui est
proprement aberrant, à la limite de la désinformation.
En effet, en raisonnant ainsi, on estime que les blessures ou la perte de vie ne sont qu’une
simple conséquence inéluctable du choix de s’engager dans les forces armées. Certains vont
même jusqu’à dire que ce droit se justifiait auparavant parce que les militaires étaient appelés
donc contraints ! Ce qui n’est pas exact. Car les guerres majeures du XXème siècle ont
engagé en opérations des combattants mobilisés pour sauver leur pays. De même pour
l’Algérie, les militaires du rang étaient envoyés sur le territoire national pour assurer les
opérations de maintien de l’ordre. Dans tous les cas, c’était une « réquisition » à laquelle il
était impossible de se soustraire, sous peine de cour martiale ou de jugement pour désertion
ou abandon de poste. L’avenir du pays était en jeu et c’était bien la Nation en armes qui opérait.
Aujourd’hui, cette Nation en armes est représentée par une armée professionnelle, le
service militaire étant suspendu.
L’Etat a considéré qu’il ne pouvait plus entretenir une armée d’appelés de plus de 400 000
hommes d’autant que, souvent, au moment de décider des actions pour rétablir ou imposer la
paix, il décidait de ne pas envoyer sur le terrain ces mêmes appelés.
Les militaires professionnels ont donc reçu délégation de la Nation pour assurer la
défense de l’intégrité de notre pays. Ils sont aux ordres du gouvernement qui peut les
envoyer 24 heures sur 24 dans toutes zones où il estime que nos intérêts sont menacés. Ils
n’ont aucune possibilité de retrait comme cela se passe pour toute la fonction publique, forces
de sécurité comprises. Les risques létaux pour tous ces personnels sont donc majeurs,
incontournables, ce qui justifie toujours ce droit à reconnaissance et à réparation.
S’agissant des Soldats qui seraient « soldés » deux fois
De même, on entend très souvent dire que les militaires professionnels, lorsqu’ils sont
en opération, ont des soldes doublées voire plus, ce qui n’est pas avéré. Cela justifierait la
suppression de ce droit à reconnaissance et à réparation, la couverture du risque étant prise
en compte dans le traitement mensuel de ces mêmes militaires.
Ce raisonnement particulièrement inique est à rejeter car il confond supplément de solde dû à
des activités opérationnelles hors territoire national et couverture des risques.
En outre, il introduit un traitement tout à fait inégalitaire à l’encontre des soldats de la
République, vis-à-vis du reste de la fonction publique, mais aussi de tous les salariés de
France. En effet, tous les personnels servant à l’extérieur de l’hexagone perçoivent
automatiquement des indemnités pour expatriation, compensatrices pour les différences de
niveau de vie, l’éloignement, la scolarité des enfants, le logement, etc….
Mais à la différence des militaires, ces personnes expatriées sont vigoureusement invitées à
rentrer en métropole si des menaces se font plus précises, ce qui n’est heureusement pas le
cas pour le militaire. Ce sont d’ailleurs souvent les soldats de France qui procèdent à leur
évacuation. Il en est de même pour tous les salariés d’entreprise.
Le militaire exécute sa mission jusqu’au bout, sans autre forme de compensation.
Le droit à reconnaissance et à réparation n’est donc pas superflu, loin de là. Et il n’est
pas en doublon des prestations versées aux personnels servant hors du territoire. Or La
reconnaissance spécifiquement passe souvent par des modalités fiscales (réduction fiscale
sur les fonds investis RMC, ½ part fiscale supplémentaire à 74 ans, et…). D’où la menace
réelle lorsqu’on veut mettre à plat tout ce système de compensation fiscale.
D- Évolutions possibles
Peut-on faire évoluer le droit à reconnaissance et à réparation ?
Dans l’absolu, il apparaît très difficile et surtout très inéquitable de vouloir toucher à ce système
de reconnaissance et de réparation qui a fait ses preuves depuis 100 ans et qui permet à nos
forces armées de se sentir soutenues, tant moralement que physiquement, l’Etat s’engageant,
En cas de blessures en mission, à réparer, avec un suivi sur le long terme, le nouvel
invalide, mais aussi sa famille qui peut se retrouver fortement perturbée et démunie
A compenser, notamment fiscalement, des produits instaurés dans le droit fil de la loi
du 31 mars 1919 ouverts pour les soldats ayant participer à des opérations pour
défendre, sans esprit de recul ou de retrait, notre pays, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur
de nos frontières.
Toutefois, si d’aventure il fallait négocier durement cette reconnaissance, on pourrait
imaginer un système compensatoire satisfaisant pour tous.
S’agissant de la Retraite Mutualiste du Combattant (RMC), système d’épargne mis
en place par une loi de 1923 dans le droit fil du droit à reconnaissance et à réparation, cette
dernière bénéficie de défiscalisation sur les capitaux investis et de majoration de l’Etat sur les
rentes versées. Ce produit, fondé sur le volontariat, a été mis en place pour permettre aux
combattants les plus fragiles dont bien sûr les mutilés, de pouvoir épargner afin de se
constituer un capital pour compenser les revenus non perçus ou perdus suite à leur présence
en opérations de combat. Il est bien sûr à conserver car les problèmes sont aujourd’hui les
mêmes.
Mais il pourrait être aménagé, pour répondre notamment aux nouveaux modes de vie. On
pourrait par exemple imaginer un système qui permettrait d’utiliser en partie l’épargne
constituée, avant la liquidation de la RMC pour la transformer en rente, notamment pour des
achats importants type accession au logement, etc… Cela permettrait de réduire le coût, non
exorbitant au passage, pour les finances de l’Etat (234,7 M€ budgétés en 2019 sur le
programme 169).
Un deuxième aménagement possible mais surtout indispensable devrait être mis en place,
conformément d’ailleurs à l’obligation légale pour les employeurs d’informer leurs salariés sur
les mesures sociales qui les concernent. Il s’agit de la mise en place d’une information
régulière dans les unités sur la RMC qui participe à la condition de vie des soldats titulaires de
la Carte du Combattant (CC) ou d’un Témoignage de Reconnaissance de la Nation (TRN).
Pour mémoire, d’après le Service de Retraite de l’Etat, seulement 28% des titulaires de la CC
bénéficieraient de la RMC (moins de 20% en ajoutant le TRN) ! Il y a bien une information
urgente à mettre en place.
S’agissant de la Retraite du Combattant (RC), cette dernière est versée à partir de
65 ans ou 60 ans dans certains cas bien répertoriés, pour les titulaires de la CC. A sa création
dans les années 1930, elle avait pour objectif, pour tous les titulaires de la Carte du
combattant, la reconnaissance de la Nation. Puis elle a servi à compenser l’activité militaire
qui n’était pas prise en compte dans la durée par les systèmes de retraite lorsque ces derniers
ont été mis en place.
Dans le cas d’une négociation dure, on pourrait envisager que le versement de cette
retraite soit suspendu pour les personnes arrivant à l’âge requis, ce qui aurait l’avantage de
faire « taire » les fonctionnaires des finances qui parlent régulièrement d’émoluments doublés,
car
– les soldats professionnels bénéficient d’une retraite à jouissance non immédiate, à
partir de 15 ou 25 ans de service
– les services militaires sont aujourd’hui pris en compte par tous les régimes de retraite,
Ce qui présuppose, bien sûr, que la RMC, aménagée, soit maintenue.
Pour mémoire, la RC est budgétée pour 2019, programme 169, à hauteur de 708,5 M€.
1 003 202 dont 12 000 OPEX en bénéficie. Au 1er janvier 2019, le nombre de CC OPEX est
de 144 000.
Dans le même esprit que pour la RMC, il y a aussi nécessité que le commandement soit
incite tous les titulaires potentiels de la CC à faire la demande de carte
ordonne aux chanceliers des unités de faire les démarches pour que la CC soit
attribuée aux titulaires potentiels.
R. PERNOD